La tante de Riandolle... Celle qui, selon notre cousin Vincent, a joué au croquet avec Henri IV !
C'était la cousine de notre grand-mère Marguerite
. La fille de Charles Dupuy et de Gabrielle Simonet.
Une "tante" chez laquelle nous passions dans les années 50 et 60 (Monique, Thérèse et Xavier) un mois chaque été.
Nous prenions le train de 13 h, puis attendions (une attente interminable...) le car Citram de 17 h au Café des Colonnes, place des Quinconces.
Puis un trajet (encore interminable) de 2 h pour enfin arriver à Riandolle où nous attendait la tante.
J'aimais beaucoup aller à Riandolle où je retrouvais mon copain Coco, le fils de Charlotte. Le seul problème c'est que je ratais l'arrivée des cousins à Monsalut...
Mais revenons à la tante :
Encore une forte personnalité. Pour le moins paradoxale : Très moderne avant la guerre (elle conduisait une grosse berline dans les années 30), elle n'acceptait plus la moindre innovation après la mort de sa fille.
Mariée en 1907 à un nommé Hersant, avocat véreux qui a dû démissionner du barreau parisien (impliqué plus tard dans un scandale qui a fait la une de tous les journaux en décembre 1928, l'affaire de "La Gazette du Franc"), Jeanne a divorcé en 1912 alors que sa fille avait 1 an... Elle revendiquait avoir obtenu l'autorisation du pape, à condition de ne jamais se remarier.
Cette fille Colette, épouse de Bertrand Carouge mon parrain, était sa raison de vivre. Et elle est morte accidentellement en 1943 âgée de 32 ans !
De ce jour Tante Jeanne a mis sa vie en pause. La chambre de sa fille à Riandolle est devenue une chapelle ardente dans laquelle je n'ai pu pénétrer qu'une seule fois. Elle a conservé pour chambre celle qu'elle occupait le jour de la mort de sa fille (bien que ce soit une pièce très inconfortable) ; elle a cessé de conduire et... évidement, elle ne s'est plus habillée qu'en noir !
Mais elle a toujours été très accueillante.
Sa vaste demeure ? Encore un château ! Oui mais quel château ! Pas d'eau courante (nous sommes dans les années 60 !), pas de chauffage, pas de réfrigérateur, pas de salle de bains : on se baignait dans un "tub" dans la petite cour avec de l'eau chauffée sur l'unique cheminée en service...
L'électricité malgré tout, mais pas le moindre radiateur.
Un immense "Hall", pièce traversante d'une façade à l'autre, véritable pièce d'exposition d'antiquaire : des meubles superbes, de l'argenterie partout. Et une grande salle à manger où là encore étaient exposés en permanence toutes sortes de services en baccara, limoges et autres porcelaines anciennes...
Mais ce qui me séduisait le plus c'étaient les vieilles fontaines en porcelaine. Charlotte (l'employée qui ne devait plus être rémunéré depuis belle lurette, et donc intervenait peu) les remplissait au broc et les vidait manuellement, mais quel plaisir de tourner le superbe robinet 1/4 de tour en or (n'exagérons pas c'était peut-être du cuivre bien astiqué !) pour se laver les mains avant de passer à table.
Après 3 ou 4 verres du rituel Mas Amiel, célèbre apéritif de son frère Jean, puid d e son neveu Charlot, nous allions dans cette fameuse salle à manger. Là, un protocole très strict guidait chaque repas. Beau service de table, argenterie à tous les repas, verres en cristal destinés à accueillir un "gros rouge qui tâche", horrible piquette à peine buvable du métayer Delbert et BIEN SE TENIR : poser légèrement les mains de chaque côté de son assiette, ne pas commencer son plat avant la maîtresse de maison, poser son pain à gauche, ne pas parler la bouche pleine, et de toutes façons laisser les adultes parler, rompre son pain avant de le porter à la bouche, fermer la bouche en mangeant, etc. Bref toutes choses qu'un enfant de bonne famille apprend. OUI MAIS... le moindre manquement à ces règles déclenchait un hurlement de la maîtresse de maison tant et si bien que la leçon était retenue pour les repas suivants.
Et, cerise sur le gâteau, chaque année elle nous invitait à déjeuner à Bergerac, dans le très chic Hôtel de Bordeaux, dont elle était propriétaire...
Un tout autre monde pour moi qui sortait d'une maison vétuste de Monsalut où peu de règles s'imposaient.
Les périodes les plus marquantes étaient celles où notre grand-mère Isabelle était là. En effet, chaque semaine, en été du moins, elle passait 3 ou 4 jours à Riandolle. Et nous avions alors droit à de mémorables joutes verbales :
"Mais voyons Madame de Bruet vous n'y pensez pas... Une cuvette en PLASTIQUE ! Mais on en mangera du plastique ! Je vous le dit Madame, on en mangera !"
Et il ne fallait surtout pas parler politique : la tante châtelaine était une nostalgique du Maréchal. Une statuette le représentant trônait encore dans les années 60 dans la grande bibliothèque. Et Salazar, le dictateur portugais, était son autre référence...
Et tout ça dans un château au bord de la Dordogne qui fut, dit-on, une résidence de chasse
du duc de La Force, ami proche d'Henri IV. D'où le croquet avec Henri IV. Un très grand parc mais non entretenu. Et à la fin de chaque séjour, j'avais droit à un objet soustrait à la vitrine : un briquet Dunhill en or, un livre des fables de La Fontaine...
Plus tard, lorsque j'étais en seconde à Ste Foy-La-Grande, chaque week-end, je chevauchais mon Solex et passais les 2 jours à Riandolle choyé et abreuvé au Mas-Miel ! Et j'avais droit à la plus belle chambre (mais sans doute aussi la plus froide !) du château.
Notre cousin Louis, qui m'a devancé de quelques années, a des souvenirs très semblables : "Durant mon année passée à Fumel, dans le groupe Pont à Mousson, tous les 15 jours avec mon Scooter je rendais visite à Tante Jeanne, qui dès mon arrivée, me préparait un verre de Mas Amiel. Je dormais dans une des chambres qui donnait sur la Dordogne, tous les matins elle me réveillait avec le plateau petit déjeuner…là elle me racontait ses souvenirs… de grande héritière" |
Ironie de l'histoire, Tante Jeanne Dupuy, vint finir ses jours dans une maison de retraite à l'emplacement même où se trouvait, quelques années auparavant, l'Ecole de Guyenne, l'établissement d'où, pensionnaire, je partais en WE à Riandolle...
Cette femme qui fut très riche, fille de Charles Dupuy, huissier (et le frère très proche du célèbre Jean) et de Gabrielle Simonet, fille de notaire, a fini sa vie dans la misère. D'une naïveté et d'une crédulité sans limites lorsqu'elle admirait quelqu'un, elle s'est fait rouler par une grande partie de son entourage.
Notre cousin Jean-Marie nous relate ci-dessous un épisode que j'ignorais, poursuivant ainsi l'article de son frère Dominique, paru dans Sud-Ouest : A la suite des grands feux de Cestas une grande partie de la maisonnée de Monsalut est allée se réfugier chez la (cousine... tante) à Riandolle. Et là... Nouvelle catastrophe ! Découvrons ensemble : Coup de foudre à RiandolleCe jour là Louis était présent et précise : "Une année, toujours à Riandolle, je me souviens de la foudre qui était tombée sur la grange contenant la récolte du tabac…" Et moi qui, par temps d'orage me pensais protégé par Benjamin Franklin, avec le fier paratonnerre dominant le toit...
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